2 Neurones & 1 Camera

Olivier Thereaux

Ce que j'aime chez vous, c'est votre jeunesse

nuages

C'est un de ces charmants déjeuners entre amis bavards ou l'on dodeline beaucoup et se contente de bouts de phrases avant de prendre son tour, où l'on joue très sérieusement aux jeunes rebelles créatifs et jamais frustrés pour deux sous. Il m'annonce que l'intérêt a fini par tomber, que son journal visuel quasi quotidien n'a plus tant de sens, qu'il se contentera d'événements particuliers. J'acquiesce, c'est normal c'est bien normal, on se lasse de tout, il faut bien qu'on s'y fasse, le nouveau devient quotidien, prend de la cellulite, et flanche l'excitation de la jeunesse.

Si l'on était entre gens du monde on glisserait sous les tapis toute obscène mention de fatigue ou de spleen, mais c'est d'amis qu'il s'agit et d'un aveu de fatigue... Pas juste celle qui cogne quand les nuits sont trop chaudes et que l'on dort bien peu; la vraie fatigue, celle de vivre, de pousser encore. Pas même 30 ans et déjà blasés, pas encore de ride misanthrope mais la mathématique mystique de Bach ne m'arrache plus la moindre larme.

Il me serait pourtant bien malvenu d'être déjà blasé: 18 années passées à ingurgiter une culture sans rien y comprendre et sans rien en vivre, 5 autres à commencer à vivre et comprendre que je ne savais rien, et à peu près autant passées à courir le monde à la recherche de quelque chose, tout en faisant gentiment semblant de poursuivre les mêmes idéaux que mes congénères... Autant dire que j'en suis à peine à l'école maternelle de mon absolu, aux tâtonnements dans mon etreinte du monde... cependant que les aiguilles courent chaque instant plus vite, et mes années passent telles des semaines d'écoliers - un mourant qui commence à vivre -.

L'horreur d'une vie humaine, aussi confortable soit-elle, est la conscience que tout le confort du monde n'écartera jamais complètement toute considération de survie... Une ultime frontière dont les méthodes pré-emballées ne se contentent que de jouer les obscènes voiles pudiques: on se console d'au delà, de grandiose et d'éternel; on s'ennivre à la tâche, on s'étrangle d'avidité, de pouvoir et d'argent.
Autant de vieillards en sursis, repoussant le choix pathétique de commencer à vivre au premier son du glas.

A défaut de s'absorber dans ces mensonges pourtant, la gageure - vivre plutôt que regarder le train passer - n'est pas moins immense, d'où peut-être ce besoin d'absolu pour tituber plus droit, danser en avant. A chacun le sien bien sûr, l'amour des uns, le sexe des autres, le bon, le beau, le vrai... Un absolu au moins, plutôt qu'un but, ne sera jamais complètement atteint et cependant on le trouve partout.

sushi et wasabi

Je repense à ma toute première photo prise au Japon le 12 décembre 2000, une photo qui n'a décidément rien d'extraordinaire... Des sushi dans une boîte de plastique qui fait mine d'être un beau bois laqué noir et or, un carton de wasabi en tube, le tout grossièrement placé sur une nappe sale. Quelle disgrâce, quels démons avaient donc bien pu me prendre, de publier ad vitam aeternam une telle injure à l'esthétique. Le petit parisien devait lui trouver bien du charme, de l'exotisme même sans doute, à cette boîte de sushi, pour en faire son premier modèle.

Et c'est vrai qu'après tout les sushi à emporter n'étaient sans doute pas encore devenus un phénomène mondial, au moins pas une banalité de mon monde. Et ce tube de wasabi, je l'avais découvert en tête de gondole dans le supermarché de mon quartier, théâtre de tant d'aventures et origine de bien des expériences culinaires, le supermarché de l'autre côté de cette route numéro un, un peu mystique, dont on m'assurait qu'elle liait le coeur de Tokyo au Kansai, et que honjukucho, le nom de mon quartier, signifiait que les coursiers y faisaient étape, et nonobstant l'usine de batteries panasonic qui n'existait sans doute pas à l'époque, je veux bien croire que la vue du mont Fuji rendait le coin pittoresque.

fuji-san

Il y avait peut-être de la magie dans cette boîte de sushi et ce carton de wasabi... Je ne sais si j'étais trop mauvais photographe pour en garder pour trace plus qu'une laide image de poisson cru ou si j'ai laissé filer cette magie, parce qu'après tout c'est bien normal, on se lasse de tout. Cette magie pourtant, cet absolu après lequel je cours, est encore là, c'est certain, et la couche de poussière et d'habitude n'est pas encore si incrustée qu'il n'y a plus rien à faire.

Cet ami avait raison, bien sûr, de ne choisir pour ses photos que les événements particuliers, mon erreur était de ne plus voir ces derniers absolument partout, tout le temps.
Alors?
Alors tant pis pour Bach, je jouis bien mieux, dans tous les sens en fait, de musiques plus dérangées...

Une vieille ivrogne, affalant sur moi le poids de ses années, m'avait un jour déclaré, devant beaucoup trop de témoins, Ce que j'aime chez vous, c'est votre jeunesse. Il y aurait certes plus glorieux, mais rien ne serait plus transcendant pour un cynique que de passer sa vie à ne pas décevoir cette déclaration d'amour.

olivier, dimanche 11 juillet 2004, 19:42

Avant/Après

Impressions d'Italie

photos: Rome · Florence A chacun son rôle, et le mien cette fois c'est touriste, guide bancal au phrasé piétinant, baroudeur la queue basse. Vaccin dès les premiers instants romains, un terminus à Termini la nuit, de faux taxis aux tarifs risibles s'ils n'étaient si mal éclairés, un vrai taxi à la mémoire courte - le compteur? Un oubli…

À suivre


Juillet-Septembre 2004: Tokyo, Japon

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