2 Neurones & 1 Camera

Olivier Thereaux

Pourquoi pas?

photo: prunier sous la neige

Fin 2004, je fus contacté par un lycéen préparant un dossier sur le Japon, et nous fîmes quelques aller-retour de questions et réponses.
Je ne suis plus entièrement d'accord avec mes propos de l'époque, certains faits même ont changé, mais au passage du cap des 5 ans, je suppose que c'est un document qu'il m'importe de conserver, tel quel, puis de reprendre dans quelques années, et me demander à nouveau: «Alors, le Japon?»

Pourquoi avez-vous décidé d'aller au Japon ? Pensiez-vous y rester aussi longtemps ?
Quels ont été les motivations principales qui vous ont poussé à changer de pays ?

"Pourquoi pas?" Je ne me suis jamais senti particulièrement attache a une notion de patrie, jamais tellement senti de racines en France, l'idée de vivre dans un autre pays me paraissait plus de l'ordre du voyage que celui de l'expatriation.

J'étais fraîchement sorti de mes études, et je savais que si je commençais a faire sérieusement ma vie a Paris, j'aurai peut-être de moins en moins d'opportunités de bouger, et surtout de moins en moins de flexibilité personnelle. L'idée de rester toute ma vie au même endroit m'ennuyait, et j'ai donc suivi la première chance sérieuse de travail a l'étranger qui se présentait a moi: un poste aux Etats-Unis, qui m'intéressaient assez peu, mais avec un bon concours de circonstance, j'ai réussi a déplacer cette offre vers une autre des localisations de cet employeur potentiel, le Japon.

Je connaissais très peu le Japon et n'y étais jamais allé, mais j'en avais une connaissance très superficielle de la langue et de la culture populaire qui m'intriguaient, et j'ai fait confiance a ma curiosité.

Pensais-je rester "aussi longtemps"? La réponse courte est non, la réponse longue est plus compliquée. Je comptais rester, au moins, pour la durée de mon premier contrat (seize mois). Quelques mois avant la fin de ce premier contrat, j'ai décidé que j'avais encore beaucoup a vivre dans ce pays, que je n'en avais absolument pas épuisé la richesse, que je n'en avais pas assez, et j'ai décidé de rester. Même manège pour le second contrat (deux ans), etc.

Mais le plus important, je pense, est de se demander si quatre ans constituent "longtemps". Pour moi au moins, quatre ans est tout juste suffisant pour commencer a maîtriser la langue, appréhender la culture.

Lorsque vous êtes arrivés, quel a été la première chose qui vous a surpris ? Combien de temps avez-vous mis pour vous adapter au pays ?

C'est difficile a dire, car mon arrivée au Japon se fit en même temps qu'une foule d'autres choses: un nouveau travail, un environnement complètement différent a découvrir, une foule de démarches administratives, un nouveau logement à trouver au plus vite, etc.

Le choc fut peut-être qu'il n'y eut pas vraiment de choc. Les japonais sont généralement très polis, civils, consciencieux et serviables dans leurs relations professionnelles, et j'ai eu la chance d'être très bien accueilli par mes nouveaux collègues en particulier, et de manière générale par le pays.

Avec du recul, je suppose que le plus étonnant était le traitement et la "place" des étrangers dans cette société ou je m'installais. Depuis, au moins, la fin de son ère coloniale, je pense que la France se veut forte de son immigration, et particulièrement de son système d'intégration, assez unique : vivre en France est équivalent a l'idée de devenir français. En comparaison, à mon arrivée au Japon, j'étais, dans mon quartier par exemple, le seul européen a un kilomètre a la ronde, dans une société qui, je l'ai compris petit a petit, est très "insulaire" dans sa façon de concevoir l'immigration, et il est évident que quelle que soit la durée de ma vie ici, je ne serai jamais japonais.

J'ignore exactement combien de temps j'ai mis pour m'adapter à ce pays, car c'est un phénomène assez difficile à définir... Quelques étapes probablement notables: après quelques mois, si ce n'est immédiatement, je pensais que le japon était "chez moi" et n'entretenais donc pas l'idée de "rentrer" [Cf. question suivante]; dans ma seconde année de séjour j'ai créé des liens affectifs forts avec la ville de Tokyo, que je considère maintenant comme étant ce qui s'approche le plus de "racines". Au bout de deux ans, certains amis en France me surnommèrent "japonais", d'abord par plaisanterie, mais aussi parce que je n'étais plus "français".

Si vous aviez le choix entre rester au Japon ou retourner en France. Que choisirez-vous ? Pourquoi ?

"si j'avais le choix"? J'ai ce choix en permanence! Absolument rien d'inéluctable ne m'oblige a rester au Japon, ou ne m'empêche de rentrer en France, si je le souhaitais. Mais je n'en ai pas envie. A certaines étapes cruciales de ma vie ici (lorsque, a deux reprises déjà, mon contrat de travail se terminait, ou lors des moments difficiles - il y en a, nécessairement! -) je me suis posé la question de partir du Japon.

Pour moi, cette question a beaucoup plus de deux réponses possibles. Quand je déciderai de partir, temporairement ou définitivement, du Japon, je ne pense pas nécessairement "rentrer" en France. J'ai certes des attaches, sentimentales, culturelles, dans mon pays d'origine, mais je ne m'y sens pas de racine. S'il y a, d'ailleurs, un lieu ou je me "sens des racines", c'est probablement plus Tokyo que la France: c'est le lieu où j'ai choisi de vivre, où j'ai sciemment construit ma vie, modelé mon environnement, acceptant en retour d'être moi aussi remodelé. C'est le _choix_ qui fait la principale différence entre Tokyo et les différents lieux de mon enfance et mes années d'étudiant - même si, bien sûr ces derniers m'ont fortement influencé.

En ce sens, l'idée de "rentrer" en France n'est pas possible. Je pourrais aller vivre en France de nouveau, mais ce ne serait pas "rentrer" dans le sens de rentrer chez soi. Je ne suis plus, stricto sensu, français. j'ai en moi un peu de sève du Japon, un peu de tous ces lieux du monde dont j'ai eu la chance de m'imprégner...

Connaissez-vous d'autres français qui sont partis vivre au Japon? Comment appréhendent-ils ce nouveau monde?

Je connais quelques français ici, mais assez peu. Tokyo est certes la première ville du pays en nombre d'immigrés, et il y vit un certain nombre de français (quelques milliers, a ma connaissance), mais a la différence d'autres nationalités (Chine, Corée, US, par exemple), les français de Tokyo n'y constituent pas une réelle communauté. Le plus étonnant est que dans beaucoup d'autres pays, les français ont assez souvent tendance a former une communauté assez soudée, mais au Japon, c'est presque comme si ceux-ci évitaient leurs propres compatriotes.

En l'absence relative d'une communauté française, ceux qui ne parviennent pas a s'adapter suffisamment à la vie et la culture japonaise, à se créer un environnement affectif, ont tendance a rapidement éprouver le mal du pays, voire un rejet violent de leur pays d'accueil, et j'observe que généralement ils abandonnent - et "rentrent en France" - au bout d'environ six mois.

Fait intéressant, il y a assez peu de corrélation entre l'enthousiasme initial pour le pays et l'adaptation aux conditions de vie et a la culture: les idées préconçues et l'attrait d'une culture lointaine se heurtent vite a la réalité et peuvent mener a d'amères déceptions, tout comme un grand enthousiasme peut aider a surmonter la solitude et le mal du pays. La clé est surtout un mélange de patience, tolérance, et une bonne dose de curiosité, en somme, une certaine ouverture d'esprit.

Le Japonais est une langue dit "difficile à comprendre". Avez-vous éprouvé des difficultés à l'apprendre et à la comprendre ? Quelles méthodes avez-vous utilisé pour mieux vous adapter à cette langue (cours avant d'aller au japon, apprentissage sur place ...) ?

Mon opinion sur la langue japonaise est sans doute fortement conditionnée par les conditions dans lesquelles je l'ai approchée. Ici encore, comme pour le reste de ce témoignage, je ne prétends pas énoncer de vérité générique, mais mes observations particulières...

Avant mon départ pour le Japon, je n'avais jamais pris le moindre cours de japonais, mais je m'étais légèrement imprégné, sans jamais vraiment apprendre en profondeur, de quelque méthode pour débutant, grâce à laquelle je suis arrivé au Japon avec un esprit sympathique (dans le sens étymologique du terme) à la langue.

Ai-je eu des difficultés a apprendre le japonais? Oui, mais moins a cause de la difficulté intrinsèque de la langue qu'à cause des circonstances de mon apprentissage: un environnement de travail très international, ou la langue officielle est l'anglais, des amis trop bilingues pour mon bien... En résumé un environnement peu propice à me forcer a apprendre la langue au delà du niveau dit "de survie", lequel d'ailleurs je maîtrisai au bout d'à peine quelques mois, car je n'avais pas le choix.

Je pense que le japonais est, pour les francophones, une langue assez difficile, mais pas compliquée.

La syntaxe est triviale, la conjugaison simpliste, les exceptions rares, et la grammaire est, en règle générale, raisonnablement simple et régulière. Qui plus est, la quasi-totalité des phonèmes de la langue japonaise sont inclus dans la langue française, ce qui garantit presque aux francophones de parler le japonais avec un accent correct. Cependant, en l'absence d'une étude stricte et régulière des 'kanji' (pictogrammes d'origine chinoise) qui constituent la majorité du système d'écriture japonais, l'apprentissage se base presque exclusivement sur l'écoute et la discussion, et presque pas sur la lecture et l'écriture, qui sont pourtant des mécanismes primordiaux de l'apprentissage des langues.

Quels sont, selon vous, les points communs que l'on peut trouver entre la culture Française et la culture Japonaise ?

NOTE: je pense passer cette question, trop vague, trop complexe.

Les Mangas sont de plus en plus lus en France. En est-il de même au japon ? Pouvez-vous essayer d'expliquer pourquoi ce style est aussi important ? Peut-on aller jusqu'à dire que les manga font partis de la culture Japonaise ?

Attention à la tentation de comparer la consommation du manga dans ces deux pays: en France le manga est un produit à la mode, au Japon c'est un produit de consommation courant, complètement intégré à la vie quotidienne des japonais.

La forme la plus populaire est le magazine de manga, épais pavé de papier d'assez pauvre qualité, dans lequel sont publié à chaque exemplaire une dizaine de pages d'une dizaine de séries différentes couvrant tous les possibles et imaginables, du sport à la vie de bureau, de l'adolescence aux mondes futuristes... Le tout pour une clientèles de tous âges, hommes, femmes, enfants, salary-men et lycéens, tout ce petit monde peut acheter les volumes les plus populaires dans des kiosques présents dans toutes les gares et lire dans le train.

Le manga fait donc partie de la culture, mais pas forcément tel qu'on pourrait l'entendre vu de France, où le manga se vend exclusivement (?) sous forme de livres, lesquels sont aussi publiés au Japon, mais juste pour les séries d'une certaine qualité ou ayant un certain succès, alors que, au moins je suppose, la grande majorité de la production n'est présente que sous forme de séries dans les magazines hebdomadaires ou mensuels.

Partie entière de la culture, oui, mais une culture accessible, jetable, beaucoup moins sacralisée qu'elle ne peut être en France. Mais surtout, l'intégration du manga à la culture et la société japonaise est remarquable sur un autre plan, illustrée par la remarque que me fit un jour un français au Japon, grand amateur du genre, qui se disait se délecter de retrouver dans la population réelle tous les personnages, modèles et attitudes familières de manga.

D'un point de vue technologique, le Japon est en avance sur beaucoup de pays. Quels sont les gadgets en vogue au Japon ? Quels sont, d'après-vous, ceux qui pourraient marcher en France ?

Je ne suis pas persuadé que le japon soit réellement en avance sur la plupart des pays industrialisés au niveau de la recherche et du développement des nouvelles technologies. Mais c'est sur le marché de la technologie qu'effectivement il peut exister un décalage de 6 mois, un an, entre la mise à disposition de certains produits au Japon et leur arrivée en Europe.

Je vois à ce décalage plusieurs explications possibles:

Les gadgets en vogue au Japon sont à peu près les mêmes qu'ailleurs: baladeurs numériques (iPod), téléphones mobiles, photo numérique... A la différence peut-être que le marché japonais (pour les téléphones notamment) est très intéressé par les fonctionnalités, au détriment s'il le faut de la miniaturisation ou du style... Certains téléphones japonais de ces dernières années étaient tellement fournis en fonctionnalités (faisant ainsi office d'appareil photo numérique, baladeur, browser Web, voire ordinateur portable capable de lire des fichiers word ou excel, etc.) qu'ils en devenaient assez peu "portables" et ne se seraient sans doute pas très bien vendus en France. Les japonais, eux, ont acheté, la technologie a pu s'améliorer, et l'on trouve maintenant de nouveaux modèles plus miniaturisés, qui sans doute se vendent aussi en Europe.

Au informations télévisés, on entend très rarement parler du Japon. Du Japon, parle-t-on de la France ?

Vraiment? J'aurais du mal à trouver un autre pays si lointain, un partenaire certes important mais pas primordial sur les plans économique, culturel et géopolitique recevant une telle couverture médiatique à la télévision française... A moins bien sûr que ladite télévision aie bien changé, je ne crois pas qu'on y passe tant de sujets de "société" sur les adolescents du Canada, de sujets culturels sur les dernières productions cinema de la Russie. Je pense que cette surexposition médiatique, due certainement à la fascination déjà longuement traitée dans cette entrevue, est assez réciproque. De ce côté-ci du caucase, ce qui fascine apparemment, c'est le goût culinaire sans faute des français, leurs marques de luxe, et les coins de Paris rivalisant de charme. Cliché rebatus? Oui, justement - et peut-être une bonne mise en perspective de ce que l'on peut voir du Japon à la télévision en France.

Les Jeux vidéo ainsi que les films commencent à devenir de plus en plus populaire en France (**tels que Pokémon, populaire auprès des enfants ...**). Seulement, pensez-vous que cela puisse nuire à l'image/identité du Japon ?
Vous habitez au japon depuis beaucoup de temps. De France, nous avons une image provenant des exportations japonaises (films notamment ceux de Miyasaki qui montrent souvent que le culte des esprits est très présent). Pensez-vous qu'elle soit erronée ?

Je choisis tout à fait consciemment d'apposer ces deux questions, parce qu'en somme elles traitent toutes deux de l'effet de l'exportation culturelle japonaise sur son image à l'étranger, en France notamment. Et j'avoue un faible pour la juxtaposition de deux monstres de l'animation, les pokemon et Miyazaki. Des premiers je ne connais qu'assez peu, sinon leur succès commercial, leur popularité chez les enfants, et l'inverse chez leurs parents. Au second, je voue un immense respect, et a posteriori, je pense que son oeuvre n'est pas étrangères à la curiosité qui m'a mené où je suis aujourd'hui.

Animiste, Miyazaki? Malin, surtout. son utilisation des "esprits" comme thème ou personnages récurrents dans ses histoires ne m'apparaît pas comme une fin en soi, plus comme un moyen. Même dans ses travaux situés dans des mondes inventés, il parvient presque toujours à infuser une certaine nostalgie d'un japon passé, d'une innocence perdue. Une connection émotionnelle avec la psyché nippone qui n'est pas nécessairement la seule "recette miracle" de sa popularité, mais j'y vois au moins une des raisons pour laquelle l'animation de Miyazaki est tres populaire au Japon, alors qu'en France par exemple, il fut d'abord un succès de niche, puis un succès critique - le succès tout court est en cours.

Quant au monstres de poche (pokemon), sans doute leur production est de piètre qualité, répétitive, pas forcément une influence très intellgente sur les plus jeunes... Mais mauvais pour l'image du Japon en France?

On pourrait esquiver la question en rappelant que bien souvent, il n'y a pas de mauvaise publicité.

Je préfère me souvenir qu'il y a vingt ans, je regardais des dessins animés japonais, déjà jugés par les adultes, par mes parents, comme étant stupides et avilissants. Bien des années plus tard, je suis venu vivre au Japon, peut-être un peu par hasard, mais peut-être aussi pour des raisons pas si étrangères que cela à l'influence des exportations culturelles du soleil levant.

Mes parents, eux, n'ont pas franchement manifesté d'envie de venir visiter le pays...

Un dernier mot?

Je n'ai jamais répondu à cette question. Le dernier mot reste à dire.

olivier, mercredi 15 mars 2006, 21:22

Avant/Après

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Mars 2006: Sabi - Rust in Translation

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