Laisser vivre les mythes
Dans un de ces mille villages de Tokyo qui ne se révèlent qu'à qui sait se perdre un peu, dans une de ces ruelles minuscules bordées de petites maisons de bois sombre, de tôle et de crépit fatigué se disputant la terre au lierre et a la rouille, une pancarte annonçait café cheesecake ou curry devant une baraque qui avait bien moins l'air d'un café que d'un bordel insane de livres, de poteries et de poussière.
Au mur, un bonhomme en photo, affublé d'un drole de costume, tient une pose tendue, eternellement figé entre grâce et grotesque. Quand un autre client investit finalement les lieux, c'est immediatement de cette photo qu'il s'agit. c'est la star, le seul objet du lieu à qui l'on daigne fournir une source directe de lumière...
Le client, un bonhomme jovial ponctuant toutes ses phrases de rapides coups de téléphone, m'explique que le danseur sur la photo était une des grandes étoiles de ballet, que Mishima admirait et qui fut meme le protégé de Cocteau à Paris. Il est un peu plus bedonnant maintenant, me dit-on. Et c'est un habitué du lieu.
Le type jovial s'enflamme, lache quelque nom, Kikuchi je crois, me questionne sur le ballet, m'invite a regarder de plus pres le cliché, car c'est Misihima lui-même qui l'a pris; et pour mieux invoquer le maître, on depoussière une vieille edition de "neige de printemps".
Et puis le proprio des lieu, un timide souriant, se joint à nous, m'offre un café une truffe de chocolat et une mandarine, et me conte que le client au pull orange est le responsable du petit temple à côté; anzen-ji, qui sans payer de mine abriterait tout de même des trésors nationaux.
A force de coups de téléphone, le moine a contacté le danseur devenu directeur de ballet, qui viendra ce jour-là, mais plus tard. Sans doute aimerait-il me rencontrer. Et je pourrais visiter le temple et ses tresors en attendant?
Je me suis eclipsé: j'etais repu d'histoires, la vérité pourrait attendre. Je reviendrai.
olivier, vendredi 18 novembre 2005, 14:50
Avant/Après
J'avais déjà dit mon admiration pour l'humanisme de Sebastião Salgado au sortir de l'exposition de ses "essais" au musée de la photo de Tokyo. Voir ses nouveaux travaux s'éloigner de l'homme, lui tourner le dos pour se concentrer sur la terre et ses lieux encore vierges d'humanité n'en est que plus fascinant.
… À suivre